Le texte qui suit est extrait d'un
article de Michel MOUZE et d'Hervé Belloc
paru dans le numéro 18 du journal "AERIAL" aux Editions Glénat
presse. (mai/juin 2001).
On a tous admiré un jour ou l'autre les talents de vol plané des
oiseaux. Alors que les volatiles marins ont adopté au fil des siècles
des ailes longues et pointues, les planeurs terrestres ont developpé
en revanche des ailes larges et digitées. Ces dernières ont inspiré
plusieurs recherches en vue d'une éventuelle application en aviation
légère.
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L'essentiel de la surface des ailes d'oiseaux est constitué de grandes plumes appelées rémiges. Elles assurent à la fois la sustentation et la propulsion. Elles sont solidement accrochées par des tendons sur le squelette de la main pour les rémiges dites primaires, sur celui de l'avant-bras pour les secondaires, ou même du bras pour les rémiges tertiaires chez quelques rares planeurs marins aux ailes très allongées comme l'albatros. Les " planeurs terrestres comptent généralement une dizaine de rémiges primaires. Les plus proches du corps ont leur axe (hampe) orienté parallèlement à celui de l'oiseau. |
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Les 6 ou 7 rémiges d'extrémité ont leur axe de plus en plus oblique, à tel point que les plus éloignées du corps sont parallèles au bord d'attaque de l'aile. En même temps, les plumes les plus externes sont très longues, le plus souvent écartées à la façon des doigts et elles sont asymétriques. Les vexilles (deux parties de la voilure d'une plume) ont une largeur différente de manière à former un véritable " bord d'attaque étroit et rigide vers l'avant " et un " bord de fuite plus large et plus souple tourné vers l'arrière ". Ainsi. la hampe d'une rémige d'extrémité n'est pas centrée mais placée à environ 25 % de la corde. Cela lui permet d'encaisser la portance, en fléchissant certes, mais sans torsion. De par sa forme asymétrique, chacune de ces rémiges de bout d'aile joue le rôle d'un tout petit plan porteur. | |
Lorsqu'on observe une cigogne ou un vautour qui plane à vitesse modérée, on voit que ses plumes de bout d'aile sont décalées les unes par rapport aux autres, du haut vers le bas. La rémige terminale, celle qui est la plus en avant et sur le côté, est fortement courbée vers le haut, la suivante l'est un peu moins, et ainsi de suite, les dernières se confondant avec les autres rémiges du plan de l'aile. Cette disposition particulière des rémiges n'existe quasiment que chez les planeurs terrestres. Et comme on trouve cette forme d'aile digitée dans des groupes assez éloignés du point de vue filiation zoologique (milan, grue, vautour d'Europe, condor des Andes, cigogne), on peut supposer, a priori, que cette particularité commune a probablement un rapport avec le mode de vie ou la technique de vol. |
A l'opposé, les rémiges terminales sont rassemblées en une pointe assez courte à l'extrémité de la longue aile des purs " planeurs marins " tels que l'albatros. le pétrel... Ces oiseaux de mer pratiquent le plus souvent le vol à voile " dynamique ", c'est-à-dire qu'ils jouent subtilement sur le gradient de vitesse du vent à des hauteurs différentes au-dessus de la mer. Ce vol consiste en d'interminables séries de boucles décrites à trande vitesse, l'oiseau descendant " vent dans le dos " depuis une altitude d'une vingtaine de mètres jusqu'au niveau de l'eau, avant de remonter face au vent jusqu'à la même altitude de départ. Le large rayon de courbure de telles évolutions à grande vitesse n 'a rien à voir avec celui d'une spirale dans une petite bulle thermique. | |
D'autres fois, ces oiseaux utiliseront les micro-ascendances " orographiques " (générées à petite hauteur au-dessus de la crête des vagues), en planant sans grands virages, profitant en même temps de " l'effet de sol ".Toutes ces performances sont facilitées par des ailes longues et étroites qui leur confèrent une silhouette si caractéristique et leur apporte une finesse exceptionnelle. Ainsi, l'envergure d'un albatros hurleur peut dépasser 3.5 m avec une corde de 25 à 30 cm, son allongement est voisin de 20 et sa finesse estimée aussi autour de 20. Sa masse étant de plus ou moins 10 kg, la forte charge alaire de 14 kg/m2 (surface des ailes : 0.6 m2) explique la vitesse élevée de son vol d'environ 70 km/h. | |
Voilà pour le vol des planeurs marins. Mais avant de voler, il leur faut décoller. Beaucoup vivent en falaises ou sur des prairies surplombant les côtes élevées, et leur envol ne présente guère de difficulté : il leur suffit de se laisser tomber, les bras en croix, quitte à " flapper " deux ou trois fois pour accélérer. Quand ils se posent pour chercher de la nourriture. c'est souvent sur une plage ou sur la mer et là encore, l'horizon est bien dégagé. En courant sur le sable ou sur l'eau tout en battant des ailes, l'oiseau accélère jusqu'à la vitesse horizontale qui lui permettra finalement de décoller avec un angle de montée assez faible. Le décollage est parfois laborieux, mais comme la piste de décollage est aussi longue que nécessaire, des ailes longues et pointues conviennent à peu près à ce type de gymnastique. |
Les planeurs " terrestres " ne pratiquent pas ce vol "
dynamique " mais exploitent assidûment les ascendances thermiques
et orographiques. A force d'adaptations, ces adeptes enthousiastes des
pompes sont devenus tellement performants que beaucoup en ont perdu le
goût et les capacités physiques pour un vol battu prolongé.
L'évolution les a rendus extrêmement dépendants de
l'existence des ascendances, au point d'en devenir vital à certaines
périodes de l'année. Pour survivre, il est parfois indispensable
de pouvoir utiliser des ascendances étroites et faiblardes. D'où
la nécessité d'être bâti de façon à
planer avec un faible taux de chute, et suffisamment lentement pour pouvoir
enrouler dans des bulles de faible diamètre sans être trop
pénalisé par la force centrifuge. A part quelques rares
cas où des cigognes ont été vues se goinfrant en
vol dans des nuages de criquets migrateurs, les planeurs terrestres se
nourrissent le plus souvent à terre. Les grues ou les cigognes
picorent des vététaux, mangeant des bestioles plus ou moins
grosses tandis que les buses, milans, vautours ou condors traquent des
proies plus ou moins vivantes. Pour tous ceux-là, il y a donc nécessité
d'être capable de décoller facilement du sol, et le plus
vite possible, pour échapper à tous les prédateurs.
Mais par terre, l'horizon est souvent encombré d'obstacles qui
ne permettent pas une longue course d'envol, comme sur l'eau. D'autant
que les frottements répétés de longues ailes sur
le sol auraient vite fait d'en user les plumes. Les planeurs terrestres
doivent concilier de nombreux impératifs incontournables |
Vautour fauve repu (Eric Supervielle) |
Vautour fauve au pic du Montaigu (65) |
L'aile de faible allongement est plus performante lorsqu'il
s'agit d'exercer une forte puissance à faible vitesse/air, comme
par exemple lors d'un décollage du sol suivi d'une montée
pentue. La corde relativement élevée des ailes confère
une portance élevée lors des phases de vol battu. Les interactions
de l'écoulement de l'air passant d'une rémige de bout d'aile
sur la suivante, entraînent une forte augmentation de la portance
aux basses vitesses.
Lorsque ce même planeur terrestre décide de quitter une ascendance et accélère en transition, il réunit ses rémiges terminales en un faisceau pointé vers l'arrière, escamotant ce système hvpersustentateur. De toute façon. les ailes digitées résisteraient mal à des vitesses trop élevées. En repliant progressivement ses ailes en W, il réduit la surface de sa voilure et diminue progressivement son envergure. L'allongement reste globalement correct tout en augmentant la charge alaire, d'où une augmentation de la vitesse de chute et de la vitesse sur trajectoire sans trop de dégradation de la finesse. En accentuant le W, l'oiseau peut encore convertir de la finesse en vitesse. Ainsi équipé, le vautour fauve, l'un des plus grands rapaces, plane à la vitesse de 50 km/h avec une finesse estimée à 15 et un allongement de seulement 7 (contre 20 pour l'albatros). Son envergure moyenne est de 2,6m (albatros 3,5m) pour un corde d'environ 45 cm, et sa charge alaire est d'environ 8kg pour une surface de 1m2. Malgré cette charge élevée, il peut ralentir considérablementson vol en ascendance. |
Le groupe d'élèves de l'École nationale supérieure
d'ingénieurs de construction aéronautiques (Ensica) s'intéresse
au fonctionnement des rémiges de bout d'aile et à l'intérêt
de la transposition du concept à l'aéronautique Ils ont réalise
une étude en combinant simulation numérique et essais en soufflerie
aux incidences moyennes. Le système étudié est simplifié
par rapport a la géométrie et la structure complexe imaginée
par la nature. Il permet néanmoins d'obtenir quelques indices sur son
fonctionnement et sa raison d'être. Les résultats obtenus révèlent
tout juste une équivalence de finesse max entre une aile digitée
et une aile rectangulaire de même envergure. D'autres études sont
conduites par des constructeurs aéronautiques et montrent qu'un système
de 4 ailettes correctement calées et étagées apporte léger
gain de finesse. On est loin des énormes gain de performance annoncés
sur internet pour les " wingrids ".
La finesse de 15 pour un allongement de 7 constatée chez le vautour est
une valeur qui correspond aux prévisions classiques en aérodynamique,
si on tient compte du fuselage de type " gros porteur ". Déception
? Non. en y réfléchissant bien, les rémiges digitées
en bout d'aile sont surtout actives à faible vitesse dans des phases
de vol où le souci est plus au pilotage et au taux de chute qu'à
l'optimisation de la finesse. Le fait qu'une aile toute fendue et dentelée
fonctionne aussi bien qu'une aile classique est déjà en soi un
résultat ! D'ailleurs. les calculs montrent que la distribution des pressions.
de la première à la dernière rémige, est similaire
à celle observée le long de la corde de l'aile simple. Cela explique
par exemple la flexion plus prononcée de la rémige d'attaque des
volatiles et laisse présager un décrochage retardé car
progressif d'une rémige à l'autre. Ce thème fera l'objet
d'une étude approfondie lors d'essais à l'Ensica.
Alors, pourquoi les oiseaux font-ils compliqué ? Pour se donner les moyens
de s' adapter aux différentes conditions de vol, tout en conservant un
niveau de finesse acceptable. En d'autres termes, pour répondre à
l'exigeant cahier des charges par la géométrie variable. Une grande
surface de voile pour optimiser le taux de chute dans les petites conditions,
vitesse lente dans les ascendances, petite surface pour la vitesse maxi et le
thermique vif de printemps. A la différence du parapente qui n'a que
la possibilité de faire les oreilles et accélérer, le système
des oiseaux offre une très grande plage de manoeuvres sans changer de
voile !
Palpent t-ils vraiment l'air de leurs rémiges?
Non. pas vraiment. En fait les rémiges, comme toutes les plumes, ne
sont que des empilements de cellules mortes aux parois momifiées, épaissies
et rigidifiées. Leurs ondulations en bout d'aile ne peuvent donc être
que des mouvements passifs, des cambrures sous l'effet des turbulences de l'air.
Ces plumes jouent un rôle d'amortisseur courbées vers le haut par
la turbulence, elles reprendront ensuite leur forme d'origine par l'élasticité
de leur axe. L'énergie ainsi emmagasinée dans la courbure est
alors restituée à l'oiseau sous forme d'un supplément passager
de portance. Il est cependant probable que l'oiseau soit capable, en agissant
sur les minuscules muscles insérés sur la racine de chacune de
ces plumes, de faire légèrement pivoter chacune d'elle autour
de son axe. La modification d'incidence qui en résulte se traduit alors
par une courbure plus ou moins prononcée vers le haut, le bas ou l'arrière,
sous l'effet du vent relatif, ce qui revient finalement à une correction
de voilure au même titre que le reploiement ou le gauchissement d'une
aile.
Alors que les rémiges sont complètement dépourvues de nerf,
l'oiseau perçoit le moindre déplacement latéral ou la vibration
la plus ténue. De minuscules organes sensoriels sont insérés
sous la peau de l'aile à la base de chacune des plumes et envoient en
permanence des informations au cerveau. Celui-ci sera donc constamment renseigné
sur la position et les mouvements de chacune des rémiges et il pourra
en déduire la vitesse instantanée et l'orientation des filets
d'air en chaque point autour de ses aile. S'il le faut. ses réflexes
procéderont aussitôt à l'un des multiples réglages
à l'aide des ailes, de la queue ou du corps. Par exemple, un mouvements
des pattes-aérofreins peut aider à contrôler un décrochage.
Il existe pourtant une exception, alors que la règle chez les grands planeurs terrestres, est d'avoir ces ailes digitées. Le martinet noir est le plus petit des planeurs de cette catégorie et loin d'être le moins performant. Il possède des ailes fines et pointues, arquées en faucille, avec une envergure de 40cm pour une masse de 40 g. Où est l'erreur ? La raison vient simplement du fait que le martinet n'atterrit quasiment jamais par terre. Il se nourrit en se goinfrant d'insectes capturés en vol, et lorsqu'il doit se poser (par exemple pour faire son nid), il s'accroche à flanc de rocher, de falaise ou d'édifice. Le redécollage en chutant ne lui pose aucun problème. Pour faire son nid, il récolte en vol les matériaux, des plumes et des fragments de végétaux qu'il façonne ensuite avec de la salive. Si, par mégarde, malchance ou distraction il se laisse piéger et se retrouve sur le plancher des vaches, la situation devient inconfortable pour lui et il a beaucoup de difficultés à repartir. Depuis le temps que ses pattes ne lui servent plus guère qu'à s'agripper sur des surfaces verticales, elles se sont peu à peu réduites et ne peuvent lui servir à décoller, d'autant que son envergure et la forme de ses ailes rendent problématique une éventuelle course d'envol. S'il est en pleine forme, le martinet parvient pourtant à redécoller grâce à une technique très personnelle. Il appuie ses ailes par terre et d'un violent battement. parvient à se catapulter suffisamment haut au-dessus du sol pour ensuite ramer au moteur. Il peut se permettre une telle acrobatie sans dommage pour ses superstructures car sa masse est très faible par rapport à la puissance et la résistance de ses ailes. Les grands et lourds planeurs marins en seraient tout à fait incapable. L'autre interrogation concerne l'aptitude du martinet à exploiter les thermiques avec ses ailes pointues, adaptées pour un vol ultra rapide (il vole à plus de 200 km/h). En fait, ce mini planeur étant ultra léger (charge alaire de 2.4 kg/m2) il a un taux de chute très bas et se montre capable d'exploiter les ascendances très faibles. De plus. avec sa faible masse, il est très peu pénalisé par la force centrifuge dans les virages, comme ses grands collègues. En fait, c'est un oiseau tellement doué pour le vol à voile qu'il passe littéralement sa vie en l'air, chassant les moustiques le jour et dormant la nuit, très haut dans le ciel. Il ne se réveille que de temps à autre pour donner quelques coups d'aile, quand les pompes ont disparu. Cela a été vérifié. Il fait tout en volant cet animal, allant même jusqu'à s'accoupler en l'air, ce qui ne semble pourtant pas si facile au vu du commentaire de nos lecteurs qui prétendent avoir tenté l'expérience. En fait, il n'y a qu'une chose que le martinet ne fait pas en vol, allez savoir pourquoi, c'est pondre.
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