Le texte et les illustrations qui suivent sont extraits d'un article de Michel MOUZE et de Constant BAGNOLINI de 1995. Les observations d'oiseaux marqués ont été faites dans les gorges de la Jonte (France, sud du Massif Central), ainsi que sur une colonie installée sur le versant nord du site de Lumbier (Espagne, Navarre, 1993).

 
Introduction
Observation directe et vidéo
Comportement en vol des vautours
Position des partenaires
Fin du vol
Après le tandem
Interêt aérodynamique du vol en tandem
Analyse
Signification du vol
Vol en tandem

Introduction

Au-dessus des falaises où est installée une colonie de vautours fauves, Gyps fulvus, il n'est pas rare de voir deux de ces oiseaux se rejoindre en plein vol et planer quelque temps très près l'un de l'autre, en position superposée. Ce jumelage de trajectoires, qui fait partie de la parade nuptiale dans cette espèce, a été appelé vol en tandem. Cette association, visible toute l'année, rassemble parfois plus de deux oiseaux : ils sont alors qualifiés de vols en tandems multiples ou d'empilements.

Cette curieuse figure de vol a évidemment intrigué de nombreux observateurs. Mais comme il n'est pas aisé de suivre le comportement des deux vautours avant, pendant, et après leur vol, les résultats diffèrent souvent: de quelques secondes à 20 minutes pour la durée de vol, vols rectilignes ou circulaires...

L'observation directe de vautours marqués, ainsi que l'utilisation de la vidéo, ont permis de répondre à de nombreuses questions : lequel des deux oiseaux prend l'initiative de l'association en vol ? Combien de temps les deux vautours volent-ils ensemble ? Y a-t-il une détermination sexuelle ou hiérarchique ? ... Et finalement, quelle peut être la signification de ce comportement ?

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Observation directe et vidéo

Le dimorphisme sexuel étant pratiquement inexistant chez le vautour fauve, il est impossible de déterminer le sexe de loin. Grâce à l'individualisation des oiseaux munis de bagues colorées ou codées, nous avons pu sexer les vautours lors du comportement dit "en tandem".

La méthode vidéo a consisté à filmer de nombreuses séquences de vol puis à les étudier ultérieurement. Sur plusieurs centaines d'enregistrements, 63 concernaient le vol en tandem, mais il est rare de pouvoir en filmer un dans son intégralité, les oiseaux étant souvent "surpris" dans cette configuration. Les séquences ont été étudiées sur moniteur, puis reconstituées graphiquement, les phases chronométrées, détaillées, codifiées.

Comportement en vol des vautours

 "A" représente l'oiseau occupant la position supérieure, "B" étant l'oiseau en dessous (cf.figures).

La formation de tandems peut être observée sous des conditions météo variées, l'important étant la présence de pompes (ascendances) qui permettent aux oiseaux de prendre de l'altitude.

Dans toutes les séquences, l'oiseau qui opère la jonction vient toujours se placer dans la position supérieure : c'est A qui prend l'initiative de la mise en place du vol. Il arrive par derrière, bien au-dessus du niveau de B, le rattrape et se place progressivement à une faible distance au-dessus de lui.

La mise en place d'un vol en tandem ne paraît pas due au hasard ou à une occasion fortuite saisie au dernier moment par l'oiseau A : en effet, il est manifeste que A prépare sa jonction en suivant le futur B, parfois pendant longtemps avant de "l'aborder".
Les oiseaux sont alors séparés par une distance n'excédant pas une demi-envergure (celle-ci est d'environ 2,70 mètres chez le vautour fauve !). Les fréquents ajustements d'ailes et les corrections de trajectoire de A témoignent de la difficulté rencontrée par cet oiseau dans sa position. Ces vols superposés sont généralement brefs, une dizaine de secondes, mais il arrive que ces vols se prolongent plus longtemps. Leur vol plané est toujours rectiligne et s'observe aussi à plus haute altitude en dehors des vallées.

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Position des partenaires

Il peut y avoir plusieurs vols en tandem entre deux oiseaux. Parfois, les deux vols sont identiques. La position du couple peut aussi être inversée, A prenant la place de B. Ou bien encore, un oiseau C peut entrer dans la formation de nouveaux tandems.
Un vol en tandem a souvent un effet attractif sur les congénères qui tentent parfois, après un long suivi, de se joindre aux deux partenaires. Dans ce cas, la superposition de trois oiseaux ne dure pas plus de trois ou quatre secondes.
Dans la plupart des cas, le tandem A/B semble dérangé par l'arrivée de C, et l'association se rompt peu après.

La vue du tandem peut aussi susciter une réaction extrêmement brutale de la part de C : on a pu observer un vautour piquer sur un tandem en place et heurter très violemment de ses pattes le dos de A, provoquant ainsi la rupture de la formation.
L'incitation, que semble exercer un tandem, peut aussi gagner d'autres vautours qui le rejoignent, ce qui conduit à un vol en empilement pouvant compter jusqu'à 6 vautours !!
De tels vols de groupe où alternent poursuites, regroupements, formation et disjonction de nouveaux tandems, le tout en poursuivant l'oiseau de tête, évoquent irrésistiblement une activité de jeux ou de compétition.

Fin du vol

La séparation est généralement brusque et coïncide dans 75% des cas avec une mise en virage : l'un des vautours abandonne la trajectoire rectiligne et plonge fortement dans le virage. La séparation a été également observée en ligne droite (25 % des cas) : l'un des oiseaux acquiert alors une vitesse supérieure par quelques battements d'ailes. Enfin, dans quelques rares cas, la disjonction du couple s'est opérée à la suite de la rencontre avec une pompe. Curieusement, les manœuvres du vautour quittant la formation paraissent toujours surprendre le partenaire. En revanche, l'initiative de la séparation est autant prise par A que par B, alors que la mise en place du tandem est toujours à l'origine de l'oiseau A.

Après le tandem

Le vautour qui rompt la formation poursuit généralement son vol sans changer d'allure, alternant virages et ascendances, sans tenir compte de son ex-partenaire, se posant parfois sur une falaise, suivi par l'autre mais à une certaine distance. L'oiseau distancé tente, quant à lui, dans la majorité des cas, de suivre le premier en rattrapant son retard sur lui et en s'obstinant dans ses poursuites jusqu'à deux minutes !

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Analyse

Lors de la mise en tandem, B paraît mener son vol sans attendre A, ni tenir compte de ses évolutions, alors que A adapte son allure, son altitude et sa vitesse pour amener sa trajectoire au-dessus de l'oiseau "visé". A quoi correspond ce comportement ?

L'oiseau B se dérobe rarement à l'arrivée d'un congénère, mais il en va parfois autrement et l'on peut alors assister à des déstabilisations ou de violents coups d'ailes. Les deux oiseaux doivent donc être consentants. De plus, au cours de son approche, A doit maintenir sa trajectoire au-dessus de B pour réduire le risque d'être déséquilibré par les vortex (tourbillon prenant naissance à l'extrémité des ailes).

Toutes ces difficultés expliquent probablement la brièveté des vols en tandem. La durée moyenne de 10 secondes correspond à une distance parcourue d'environ 200 mètres à la vitesse de 20 m/s !

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Intérêt aérodynamique d'un vol en tandem

L'association rapprochée en vol des deux vautours modifie radicalement les phénomènes aérodynamiques qui agissaient sur chacun d'eux lorsqu'ils volaient éloignés l'un de l'autre. Même si la compréhension exacte de cette association est extrêmement difficile, on peut néanmoins formuler quelques hypothèses. On connaît en effet certains comportements d'oiseaux qui correspondent à une économie substantielle de l'énergie dépensée en vol : les oies du Canada, par exemple, en formation en V, s'économisent jusqu'à 30 ou 40%.

La superposition en vol des vautours évoque fortement la disposition des ailes d'un biplan et pourrait donc bénéficier des mêmes caractéristiques aérodynamiques.

Ainsi, l'ensemble constitué par les deux oiseaux d'un tandem A+B, serait capable de planer selon un angle de descente plus faible qu'un oiseau volant seul.

En résumé, on peut supposer que les deux oiseaux recherchent l'écart adéquat qui, s'il vient à changer dans un sens ou dans l'autre, romprait l'association.

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Signification du vol

Les vautours fauves sont d'excellents planeurs terrestres : leur taille, leur anatomie, et leur physiologie ne leur permettent pas de longues séquences de vol battu, mais ils sont passés maîtres dans l'art d'utiliser toutes les ressources de l'aérologie pour leurs déplacements. Ces oiseaux sont donc entièrement tributaires des mouvements de l'atmosphère et, pour eux, la maîtrise de la technique du vol à voile est absolument vitale.

Le vautour est très sensible à l'amélioration de ses performances. La sensation inhabituelle de "finesse" du vol procure sans doute à l'oiseau une sorte de "plaisir" comme en témoignent les jeux, poursuites et empilements multiples.

La mise en place du tandem, comportement essentiel de la parade, a aussi une forte signification relationnelle, d'où l'agressivité observée lors de la venue d'un tiers.

Les vols en empilements correspondent à un ensemble de comportements complexes dont l'aspect ludique n'est qu'une facette : ils ont également une grande valeur sociale.

approche
Phase d'approche
intermédiaire 
Phase intermédiaire
fin
Tandem stabilisé

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