MCD

ce texte est issu d'un article de René-Jean MONNERET avec son aimable autorisation.

Pourquoi le faucon ne vise pas sa cible?
Trajectoires et vitesse d'attaque du faucon pèlerin.


Introduction
Tactique
Bio-physique
Aérodynamique
La vitesse du faucon pélerin
Conclusion
Bibliographie

Bien que la chasse soit l'élément de la biologie du Faucon pèlerin (Falco peregrinus), qui de longue date, a le plus captivé l'imagination de l'homme, en particulier par la vitesse extraordinaire des attaques en «piqué», les connaissances précises à ce sujet sont relativement restreintes. Cet article, fondé sur plus de 40 années d'observation, représentant plusieurs centaines d'attaques suivies de bout en bout, parmi quelques milliers d'autres qui n'ont pu l'être complètement, propose d'exposer succinctement ce qui aujourd'hui semble refléter l'état de la connaissance à ce sujet. Pour les mesures de vitesse, il se réfère largement aux études américaines et suisses faites à l'aide de systèmes, de radars de conduite de tir (CH), ou de triangulation optique (US).

Le vol de chasse du Faucon Pèlerin (Falco peregrinus) comporte typiquement 3 phases, le vol de placement, le piqué «ailes-fermées», l'approche terminale de la proie. Il est entrepris aussi bien d'un poste d'affût que d'un «vol d'amont» à hauteur variable. Du départ à l'approche finale, la distance parcourue s'échelonne entre quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres, pour un changement d'altitude généralement compris entre 100 et 600m.

Le vol de placement est un vol battu caractéristique. Les mouvements d'ailes de grande amplitude sont énergiques et cadencés. Sauf quand l'angle de l'attaque dépasse d'amblée 20 à 30°, auquel cas il se résume à quelques battements d'ailes «nerveux», le vol de placement se développe, le plus souvent, sur de grandes distances - plusieurs centaines de mètres voir plusieurs kilomètres.
La direction initiale du vol paraît indépendante de la situation de l'oiseau convoité. Pendant cette phase, la vitesse du faucon atteint certainement des vitesses de l'ordre de 80 à 100km/h, à plusieurs reprises, nous avons en effet observé des femelles refaire le handicap de 200 à 300m sur des ramiers traversant une vallée, alors qu'au départ de la poursuite le pigeon volait entre 50 et 100m au-dessus du site.

Le piqué «ailes-fermées » est une chute plus ou moins oblique de plusieurs centaines de mètres, à plus d'un kilomètre. L'angle de la trajectoire avec l'horizontale est en général, compris entre 20 et 40°. Durant cette séquence, la vitesse n'est pas constante. Elle subit des accélérations, quand le faucon colle ses ailes le long du corps, et des ralentissements, quand il les écarte plus ou moins, pour corriger sa trajectoire.
C'est durant cette phase de l'attaque que le faucon atteint sa vitesse maximale. Elle est largement fonction de la hauteur initiale de la descente, de sa longueur et de l'angle de la trajectoire avec le sol. Celle-ci n'est pas rectiligne et présente l'allure d'une courbe dont la première partie est orientée vers le sol (comme si, au départ, le faucon «visait» à côté et sous sa cible) puis vers la proie dans les dernières dizaines de mètres avant le contact.

Les différentes étapes du piqué.
Le piqué terminal et la capture. La fin de trajectoire devient rectiligne et proche de l'horizontale, mais bien souvent plus ou moins montante - tant que l'oiseau attaqué ne détecte pas l'approche du rapace.
- Dans ce cas, la proie est selon les cas, «liée», c'est-à-dire directement saisie avec les serres, ou «buffetée», c'est-à-dire percutée avec les serres tendues en avant. Dans ce cas le faucon « ressource » dans une «chandelle» verticale, à partir de laquelle il pique de nouveau vers l'oiseau, en train de tomber, pour s'en saisir définitivement.
- Si le faucon est repéré, la proie fait un brusque écart, vers le bas, le haut ou latéralement, après quoi elle tente d'échapper en direction du sol. Le faucon exécute alors un virage très court, donc très bruyant, pour enchaîner par un, voir plusieurs, piqués «secondaires» (si la première tentative est infructueuse et si l'espace disponible le permet).
Le piqué secondaire.
Le faucon bascule sur le dos
et pivote à 90 ° en arrière
et vers le bas .
Plusieurs théories permettent d'expliquer la trajectoire courbe du faucon.
Le faucon chercherait à tromper la proie en orientant son vol dans une direction différente de celle de l'objectif ?  Malgré toute l'admiration que je porte au faucon Pèlerin (falco peregrinus), cette hypothèse, qui présuppose grande capacité d'analyse et de réflexion de la part du prédateur, paraît difficilement acceptable.
Bio-physique :
À l'instar du chien qui court vers son maître en mouvement selon une trajectoire connue sous le nom de «courbe du chien», le faucon suivrait une trajectoire similaire. Cette hypothèse est plus vraisemblable, encore qu'une étude plus fine faite par V.A. Tucker, semble montrer qu'à la différence de celle du chien, la trajectoire du faucon ne serait pas directement dirigée vers la proie, mais latéralement, selon un angle proche de 40°.

Pourquoi cette bizarrerie ?
Comme tous les rapaces diurnes, les faucons ont une mobilité oculaire réduite et disposent de 2 foveas :
- la fovea latérale destinée à la vision binoculaire,
- la fovea profonde destinée à la vision monoculaire.
La première, orientée vers l'avant à 15° de part et d'autre de l'axe de la tête, ne permet pas une vision précise au-delà de 40m.
La seconde, située dans l'axe principal de l'œil, est orientée à 40° vers l'avant par rapport à l'axe de la tête. D'une acuité exceptionnelle (10 millions de cellules visuelles au mm carré, associés à un système optique performant), elle sert à l'observation à grande distance, ce qui, pour ce faire, oblige le faucon à tourner la tête à 40° sur le côté. Ce comportement est particulièrement évident quand le faucon observe un oiseau situé loin au dessus de lui - photo ci-contre.
Les études en soufflerie montrent que la flexion latérale de la tête augmente de 50%,  les forces de frottement aérodynamiques. De sorte que, pour conserver un coefficient aérodynamique et une vitesse maximale, le faucon doit maintenir sa tête dans l'axe du corps, ce qui implique que pour garder la proie «à vue», il doit piquer «à côté» à 40° par rapport à la direction de celle-ci. Il ne s'agirait donc plus d'une simple trajectoire de poursuite, type «courbe du chien», mais d'une trajectoire de type «spirale logarithmique».
Dessin RJ Monneret
Lors de la capture, il écarte les ailes et met les pattes en avant
Le temps le plus court que met un objet, accéléré par la seule pesanteur, pour aller d'un point A à un point B, plus bas que A, n'est pas le segment de droite AB, mais une courbe qui part de A, selon la ligne de plus grande pente, pour ensuite s'incurver vers B. Il s'agit d'une courbe «brachistochrone».
On comprend que pour atteindre une proie le plus vite possible, à grande vitesse, les trois contraintes - visuelles, aérodynamiques et physiques– conduisent le faucon à «piquer à côté», tout en conservant «le bon œil» sur sa proie
(vision binoculaire et trajectoire directe n'étant utilisées que dans les dernières dizaines de mètres de l'approche).
Vitesses maxima possibles lors du piqué «ailes fermées»?
Elles sont sujettes à controverse. On a parlé de plus de 400km/h ou plus modestement de 150 km/h. Théoriquement, les facteurs dont dépend la vitesse d'un faucon en piqué sont au nombre de cinq :
- La masse de l'oiseau,
- Son volume,
- Son coefficient aérodynamique,
- L'angle de sa trajectoire avec le sol.
- La longueur de cette trajectoire.
La masse de l'oiseau.
Pour un même coefficient aérodynamique et un même volume, plus un objet est massif, plus la force que son poids oppose aux forces de frottement aérodynamiques est importante. La résistance de l'air à l'avancement - la traînée aérodynamique - est en effet proportionnelle à la surface du « maître couple » (surface de la coupe réalisée perpendiculairement à l'axe du déplacement - un cercle pour une sphère). Cette surface est proportionnelle au carré des dimensions, alors que la masse, donc le poids, est proportionnelle au volume - au cube des dimensions. Il découle que plus la masse est grande, plus la force de pesanteur exercée par cm carré de «maître couple» est importante. La vitesse limite à partir de laquelle les forces de frottement aérodynamique équilibrent la force de la pesanteur est donc d'autant plus élevée que la masse de l'objet qui tombe est importante.
Pour simplifier, quand on double les dimensions d'une sphère, la surface de sa coupe « équatoriale » est quadruplée, alors que son volume, donc sa masse, est multiplié par 8, il découle que le poids par cm carré de surface est doublé. La plus grosse tombe plus vite que la plus petite. Donc, plus un oiseau est massif plus il vole vite et plus il est susceptible de piquer à grande vitesse.
Le volume et le coefficient aérodynamique.
Le coefficient aérodynamique dépend de la forme générale de l'objet soumis à la résistance du fluide dans lequel il se déplace, de son volume, de sa longueur, de sa texture et de sa capacité à conserver sa forme à grande vitesse. Un objet allongé a un meilleur coefficient aérodynamique qu'un objet sphérique de même diamètre. Un objet présentant de faibles aspérités a un meilleur coefficient qu'un objet de forme irrégulière. Un objet qui garde sa forme pénètre mieux dans l'air qu'un objet qui se déforme.
Pour ce qui est du faucon pèlerin (falco peregrinus), forme et rigidité du plumage – absence de vibrations - contribuent à lui donner un coefficient aérodynamique performant. Des études menées en soufflerie, sur des reproductions de faucons en matériaux synthétiques et sur des carcasses congelées, montrent que le coefficient aérodynamique est de l'ordre de 0,05 à 0,08 pour le faucon pèlerin, alors qu'il n'est que de 0,12 pour la buse à queue rousse, par exemple. Ces études montrent en outre que le coefficient aérodynamique du faucon s'améliore avec le gain de vitesse.
Il se pourrait également que pour accélérer, le faucon tende le cou en avant au lieu de le conserver replié, ce qui aurait pour effet d'améliorer son coefficient aérodynamique. Cette hypothèse n'est pas absolument avérée, car les piqués d'attaque se déroulent toujours très loin de l'observateur, mais c'est en tout cas ce qui semble se produire quand le faucon accélère en donnant l'impression de “s'allonger” sur sa trajectoire.
 
L'angle de descente et la longueur du piqué.
Un faucon de 1kg, qui conserverait sa posture de «recherche de vitesse maximale» sur toute la longueur d'une descente à 45°, pourrait théoriquement atteindre une vitesse de 100m/s (360km/h) après 20s de chute et 130m/s (460km/h) après 35 secondes.
La proie est heurtée si violemment
qu'elle est coupée en deux.
On dit qu'elle est buffetée.
Quelles vitesses a-t-on enregistrées sur le terrain ?
Verticalement, la durée du piqué pour atteindre la vitesse théorique de 112m/s (403km/h) serait de 16 secondes, nécessitant une chute verticale de 1150m, trajectoire d'une longueur pratiquement jamais observée en chasse sous un tel angle. D'autre part quand il chasse, le faucon corrige constamment trajectoire et vitesse tout au long de sa chute, de sorte qu'il n'atteint jamais la vitesse maximale théoriquement possible.
Les mesures faites sur le terrain le confirment :
- Sur un site des Baléares, Matthias Kestenholz et Coll., au moyen d'un radar de conduite de tir, a enregistré les vitesses de 36 et 51m/s (130 et 184km/h), sous des angles maximum de 42°, pour des hauteurs de chutes variant de 250 à 350m.Ces mesures concernaient un faucon pèlerin de la sous-espèce brookei (F.P; brookei).
- Au Colorado, V.A. Tucker et Coll., grâce à un système de triangulation associé à un ordinateur, a mesuré des vitesses variant de 40 à 70m/s (144km/h à 252km/h) pour des angles de chute compris entre 20 et 30° seulement. Ces mesures concernaient les attaques de chasse d'un tiercelet de faucon pèlerin (f. peregrinus) partant d'un poste d'affût situé 450m au-dessus du plateau.
- D'autres mesures faites par T.J. Cade et V.A. Tucker sur un tiercelet dressé de Faucon Gerfaut (falco rusticolus) de 1kg, piquant de 500m de haut, sous un angle de 62°, montrent que la vitesse maximum (58m/s = 208km/h) a été atteinte après seulement 150m de perte de hauteur, pour un déplacement horizontal d'une centaine de mètres. Après quoi le faucon a peu à peu réduit sa vitesse pour rejoindre le fauconnier (courbes ci-dessous).
Ces mesures, qui concernent des trajectoires à faibles pentes et de courtes durées, ne sont pas très éloignées des estimations théoriques pour les mêmes facteurs de chute.
Ainsi, bien que les vitesses objectivement mesurées “en nature” n'aient jamais dépassé 250 km/h, pour des pentes inférieures à 60°, et des pertes d'altitudes de 150m seulement, on est en droit d'admettre que dans des conditions exceptionnelles (angles et temps de chute supérieurs), la vitesse maximale susceptible d'être atteinte par un Faucon Pèlerin (F. peregrinus) en piqué pourrait dépasser les 380km/h. D'ailleurs T.J. Cade signale que les estimations de vitesses réalisées par K. Franklin, parachutiste et fauconnier, sur un faucon tombant à la verticale d'un avion volant à 3500m, auraient dépassé les 400km/h ?
Pour conclure, il semble bien que les vitesses extraordinaires du faucon pèlerin (F.P.), demandent encore quelques investigations de terrain pour lever l'ambiguïté sur la vitesse maximale possible lors de piqués verticaux de grandes hauteurs sans correction de vitesse, comme cela est pratiquement toujours le cas en attaque de chasse. Peut être faudrait-il orienter les investigations vers les vitesses acquises lors des parades nuptiales ?
- Ferréol R.Pages perso : http://mapage.noos.fr/rferreol
- Kestenholz M., Schweitze Volgelwarte Sempach, communication personnelle.
- Lovvorni, J.R., Liggins G.A., Borstad M., Calisal S.M. and Mikkelsen A. “Hydrodynamic drag of diving birds : effects of body size, body shape and feathers at steady speed ». The Journal of Experimental Biology 204, 1547–1557 (2001.
- Monneret R.J. (1973)”Techniques de chasse du faucon pèlerin falco peregrinus dans une région de moyenne montagne”, Alauda, Vol. XLI, n°4-1973, 403-412.
- Monneret R.J. “Le faucon Pèlerin” Delachaux&Nielstle
- Tucker, V. A. (1987). Gliding birds: the effect of variable wing span.
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Sommaire Faucon pèlerin

Présentation du Faucon pèlerin


Le vol en tandem du vautour fauve
Leçon de nature
A plumes déployées
La gent ailée du voyage


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